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Information du 06/03/2024 : |
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Le paradoxe de la « garantie constitutionnelle » de la liberté d'avorter.
Le 04 mars 2024 le Parlement, réuni en Congrès à Versailles, va voter pour inscrire dans la Constitution un nouvel alinéa à l'article 34 dont les termes sont :
« La loi détermine les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté garantie à la femme d'avoir recours à une interruption volontaire de grossesse. »
Contrairement à tout ce qui peut-être écrit sur le sujet cet alinéa n'a nullement pour objet de consacrer et de garantir constitutionnellement le droit à l'avortement. Ceux qui prétendent que le fait que la Constitution mentionne la liberté d'avorter empêche toute restriction de l'avortement se trompent lourdement.
En effet cet alinéa est placé dans l'arficle 34 de la Consitution, article relatif aux domaines réservés à la loi, autrement dit qui répertorie les domaines que seule une loi peut régir et non un simple décret. Ce n'est donc pas un article relatif à l'existence et la description d'un ou de plusieurs droits garantis par la Constitution mais simplement la liste des domaines que seule une loi ordinaire peut réglementer.
Cet alinéa précise donc que seule une loi peut déterminer, fixer les conditions dans lesquelles une femme peut recourir à un avortement. Autrement dit que seule une loi peut étendre mais aussi restreindre de façon drastique le recours possible à l'avortement tant dans le délai que dans les motifs de recours. Plus précisément que seule une loi ordinaire (par opposition aux lois organiques et constitutionnelles) peut régir les conditions de recours à une interruption volontaire de grossesse. Nous sommes bien dans l'article 34 de la Constitution relatif aux lois ordinaires il n'y a donc aucune consécration des conditions du recours à l''avortement par l'insertion de ce nouvel alinéa.
Qu'en est-il du principe même du recours à l'avortement ? Les termes de liberté garantie écrits dans cet alinéa interdisent il au législateur de supprimer totalement le recours à l'avortement ?
La réponse est non. Les termes de liberté garantie mentionnés dans cet alinéa n'interdisent nullement au législateur d'interdire totalement le recours à l'avortement dans la mesure où cette liberté d'avorter n'existe que par la loi ordinaire et non dans un texte consacrant les droits humains consitutionnellement protégés (comme la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et du Citoyen ou la Convention Européenne des Droits de l'Homme, le Préambule de la Constitution de 1946 ou une grande loi de notre République reconnue comme tel par le Conseil Constitutionnel).
Aucun texte, à l'exception des lois ordinaires qui se sont succédé jusqu'ici, ne reconnaît le doit ou la liberté pour une femme de recourir à un avortement. Et aucune décision du Conseil Constitutionnel ne consacre la loi autorisant le recours à l'avortement comme grande loi de la République à l'instar de la loi de 1905 sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat ou la loi relative à la liberté d'association.
C'est bien en raison de cette absence de texte consacrant le droit d'avorter que l'alinéa ne précise pas par qui ou par quoi la liberté d'avorter est garantie. Pour que l'on puisse affirmer que cette liberté soit reconnue constitutionnellement il faut, à tout le moins, qu'il soit précisé par quoi cette liberté est garantie et que cette garantie soit de rang constitutionnel. Garantie de rang constitutionnelle qui fait défaut aujourd'hui la liberté d'avorter n'étant garantie par aucun texte à l'exception de lois ordinaires successives. Une loi ordinaire peut donc supprimer totalement la liberté d'avorter.
Si ce nouveau texte ne consacre pas constitutionnellement la liberté d'avorter il ne le fragilise pas pour autant. Il ne fait que consacrer le fait que l'avortement ne peut être régi que par la loi ce qui est le cas depuis 1975.
Mais c'est oublier la décision du Conseil Constitutionnel en date du 14 avril 2023 relatif à la réforme des retraites.
En effet dans cette décision le Conseil Constitutionnel précise que le gouvernement peut décider d'inscrire des réformes de fond (comme l'âge de départ à la retraite) dans une loi rectificative de financement de la sécurité sociale. Qu'aucune disposition constitutionnelle ne s'oppose à un tel recours. En conséquence, à partir du moment où l'avortement est remboursé par la sécurité sociale, le gouvernement peut réduire de façon drastique voir interdire le recours à l'avortement par le biais d'une loi rectificative du financement de la sécurité sociale avec procédure accélérée et adoption par usage de l'article 49-3 de la Constitution comme il l'a fait pour relever l'âge du départ à la retraite à taux plein.Et c'est bien de ce fait que, paradoxalement, l'inscription de la liberté d'avorter dans la Constitution ne consacre en rien cette liberté mais au contraire la fragilise en rendant ses restrictions voire sa suppression plus facile qu'en l'absence de cette mention.
Voilà bien le paradoxe de cette inscription de la liberté d'avorter dans la Constitution qui sera votée ce 04 mars 2024. Bien loin de consacrer la liberté pour les femmes d'avorter elle simplifie en réalité la possibilité pour le gouvernement d'en modifier les modalités voire de l'interdire en faisant de cette liberté une liberté pouvant être régie par une simple loi rectificative du financement de la sécurité sociale adoptée selon la procédure accélérée et par l'usage de l'article 49-3 de la Constitution.
Cela explique la raison pour laquelle ce texte a été adopté à une aussi forte majorité par le Sénat (Sénat ouvertement opposé à la constitutionnalisation de la liberté d'avorter) puis que ce texte ne consacre pas la liberté d'avorter mais la fragilise. |
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